« Il faut accepter les déceptions passagères, mais conserver l'espoir pour l'éternité. »
— Dr Martin Luther King Jr.
J’ai toujours vécu de façon un peu aventureuse. J’ai grandi sur les deux côtes des États-Unis et je suis l’aînée d’une famille de six enfants. Lorsqu’on me demandait, enfant, ce que je voulais faire plus tard, je répondais habituellement avec enthousiasme : « Je veux être la première présidente des États-Unis! » J’avais de grands rêves et une détermination de fer.
J’étais une jeune femme ambitieuse. J’ai commencé à suivre des cours de niveau universitaire au secondaire, j’ai fait une variété de stages auxquels j’ai consacré de longues heures, et j’ai reçu mon diplôme universitaire en droit une année plus tôt que prévu. Plus tard, j’ai travaillé à temps plein comme conseillère aux admissions à l’université, tout en faisant une maîtrise en administration des affaires le soir. J’ai déniché un emploi à la hauteur de mes ambitions dans le monde de la technologie, en développement des affaires, dans ma ville préférée : Washington, D.C.
J’étais jeune, mais tout me réussissait — mes rêves se réalisaient, je récoltais le fruit de mes efforts acharnés et je voyais s’ouvrir devant moi un long chemin pavé de succès.
Jusqu’à ce que ma vie change du jour au lendemain. Littéralement. Tout allait bien lorsque je me suis couchée un soir. Au réveil, je ne sentais plus mes jambes et je pouvais à peine bouger. C’était le 21 mars 2012, une date que je n’oublierai jamais.
C’était un mercredi matin. J’avais l’habitude, tous les mercredis, de diriger tôt dans la journée notre réunion de développement des affaires. Donc, même si j’étais préoccupée par ce qui m’arrivait, je ne m’y suis pas attardée. J’ai enfilé mon veston et j’ai fini par me rendre au bureau.
Je n’arrêtais pas de me dire que c’était un virus et que ça passerait rapidement. « Ok Eliz, me suis-je dit, ce n’est pas joli tout ça, mais va à l’urgence. On te donnera des médicaments et tout ira mieux demain. » J’ai appelé mon patron et demandé à mon adjointe de modifier mon horaire avant de prendre congé pour la journée.
Je ne suis plus jamais retournée au travail.
De peine et de misère, je suis parvenue à me rendre à l’urgence la plus proche. À mon arrivée, la sensation d’engourdissement s’était étendue jusqu’à mon nombril. Une infirmière est venue me voir dans la salle d’examen et m’a annoncé qu’on allait m’hospitaliser.
On m’a fait une IRM du cerveau, de la colonne cervicale et de la colonne thoracique. Pendant l’examen, au bout d’environ 1 heure, le technicien m’a fait sortir de l’appareil pour me demander gentiment d’arrêter de bouger les jambes. Lorsqu’il m’a fait entrer de nouveau dans le tunnel claustrophobique, quelques larmes ont commencé à couler sur mon visage : je n’avais même pas réalisé que mes jambes bougeaient.
Ce soir-là, peu après 22 h, le neurologue m’a téléphoné de la maison : « Eliz, nous avons examiné les résultats de votre examen d’IRM et nous sommes convaincus qu’il s’agit de la sclérose en plaques. »
La sclérose en plaques — j’en avais déjà entendu parler. La mère d’une de mes amies du secondaire en était atteinte, de même que la tante d’une de mes connaissances, il me semble. Ça ne me faisait pas peur — on peut vivre avec la SP. J’ai passé une à deux heures à faire des recherches sur Google, puis je me suis couchée, rassurée. « Ça va aller », ai-je pensé.
J’ai passé la semaine suivante à recevoir des traitements dans cet hôpital, avant que mes médecins me suggèrent de retourner à Pittsburgh, en Pennsylvanie (où habitent mes parents) pour me rétablir. J’ai quitté l’hôpital avec un déambulateur, un fauteuil roulant et un peu moins de dignité qu’au départ.
Mes parents ont préparé mon sac de voyage et j’ai quitté mon appartement, mes affaires, mon emploi, ma ville préférée et mes amis — tout en me promettant de les retrouver dans quelques semaines.
C’est ce qui était censé arriver. J’étais censée entrer en rémission, retrouver de 90 à 95 pour cent de mes capacités initiales et continuer de vivre à la hauteur de mes ambitions. Mais dans mon cas, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça.
Quelques semaines plus tard chez mes parents, je me suis levée un matin pleine d’énergie. Je suis allée dans un café, au spa, puis au restaurant et au cinéma avec mon frère et ma mère. C’était la première fois que je sentais que je pourrais peut-être retrouver la vie que j’avais travaillé si fort à me construire.
Au cours de la même période, pour la seconde fois en l’espace de plusieurs semaines, j’ai revécu mon pire cauchemar : au réveil, je ne pouvais plus marcher ni utiliser mes bras, et j’avais beaucoup de difficulté à parler (dysarthrie). J’ai été directement admise à l’hôpital et j’y suis restée presque tout l’été à faire de la réadaptation. J’ai réappris à marcher avec des appareils fonctionnels, j’ai fait des séances d’ergothérapie pour réapprendre de simples tâches et des séances d’orthophonie pour apprendre à parler malgré la dysarthrie.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réaliser ce qui m’attendait : mon parcours avec la SP ne serait pas de tout repos. La carriériste que j’étais a vu ses ambitions minées par l’invalidité. Toutes mes affaires ont été entreposées et mon bail a été résilié. Mes vêtements, mes chaussures, même mon auto sport vintage : j’ai tout perdu. J’ai perdu non seulement ma santé, mais aussi toutes les choses que je m’étais procurées en travaillant d’arrache-pied. Et je n’y pouvais rien.
Mais vous savez ce que je pouvais contrôler? Ma réaction à ce qui m’arrivait. J’ai réalisé que je pouvais laisser cette situation me transformer en victime ou me motiver à devenir une battante. J’ai décidé de me battre pour mener une belle vie. Ma vie n’avait peut-être plus l’air aussi idyllique qu’avant, mais elle pouvait quand même demeurer formidable.
On peut dire que la façon dont la SP est apparue s’apparente en tous points à la façon dont j’ai toujours mené ma vie : de manière rapide, efficace et démesurée. Tout ce qui m’est arrivé en 2012 a été terrifiant, et mon parcours a depuis été ponctué de nombreux autres moments invraisemblables — et pourtant, j’y ai puisé tant de force, de positivisme et d’espoir. Je l’ai pleinement accepté et je pousse quotidiennement mon corps à la limite (de manière sécuritaire, et avec l’aide de mon équipe de soins, bien sûr). J’ai fait tatouer le mot « espoir » sur mon bras pour me rappeler que même si mon corps ne fonctionne pas aussi bien que je le voudrais, il est encore là.
On me demande souvent comment je parviens à demeurer aussi positive malgré tout. C’est surtout une question de conditionnement mental, en ce qui me concerne. Je m’entraîne fort à me concentrer sur les aspects positifs au lieu de m’attarder aux difficultés. Mais, je me dis aussi, pourquoi pas? Pourquoi permettre à la SP de rendre mon existence misérable, quand je pourrais vivre pleinement une vie merveilleuse, même si je dois m’adapter et apporter des changements à mon mode de vie.
Mon but dans la vie : vivre pleinement malgré mes limites. La douleur, les cicatrices, les deuils : tout cela m’a menée où je suis aujourd’hui. Et je m’y sens merveilleusement bien.